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La SCI dans le viseur de la taxe caïman

De nombreux belges ont acquis un bien immobilier en France au travers d’une société civile immobilière (SCI), soumise en France au régime fiscal de la translucidité, à savoir que les revenus éventuels et la plus-value réalisée en cas de vente du bien détenu par la SCI, sont taxables dans le chef des associés de la SCI, et pas dans celui de la société.

En 2015, le législateur fiscal belge a introduit le régime de la taxe caïman, qui visait initialement à imposer en Belgique les « patrimoines flottants », logés dans des entités étrangères non taxées ou trop faiblement taxées, qualifiées alors de « construction juridique ». Le régime de la taxe caïman prévoit une taxation par transparence des revenus de la construction juridique, dans le chef du fondateur[1] résident belge, comme s’il les avait perçus directement.

A l’origine de ce régime, les entités situées au sein de l’Espace économique européen (l’EEE)[2] n’étaient pas qualifiables de construction juridique, excepté la stiftung et l’anstalt liechtensteinoise, ainsi que la SPF luxembourgeoise.

Depuis sa mise en œuvre, ce régime a connu plusieurs modifications visant constamment à étendre son champ d’application, avec notamment pour conséquence qu’actuellement toute entité située à l’étranger, détenue par un résident belge, est soumise à un test de taxation suffisante : le seuil minimum est fixé à 1 % pour les entités situées au sein de l’EEE et à 15 % pour celles établies en dehors de l’EEE.

Pour effectuer ce test, il faut chaque année :

  • déterminer le revenu imposable de l’entité étrangère, comme s’il s’agissait d’une société belge, c’est-à-dire déterminer le résultat imposable de l’entité étrangère, en appliquant les règles comptables et fiscales belges ;
  • limiter le cas échéant le résultat imposable à la part de l’associé qui qualifierait de fondateur, s’il y a plusieurs associés ;
  • vérifier que l’impôt payé à l’étranger correspond bien à 1 % minimum (si l’entité est située au sein de l’EEE) ou à 15% minimum (si l’entité est située en dehors EEE) du résultat imposable ainsi déterminé.

Jusqu’à la loi-programme du 22 décembre 2023, la SCI française était exclue du régime de la taxe caïman. Depuis le 1er janvier 2024, la SCI est qualifiable de construction juridique en Belgique, si ses revenus sont soumis en France, dans le chef des associés, à un impôt sur les revenus inférieur à 1%  sur le résultat imposable de cette société, déterminé selon les règles belges.

Or si, comme c’est souvent le cas en présence d’une SCI, l’immeuble est mis gracieusement à disposition de ses associés, l’application des règles belges impliquera qu’il sera calculé un avantage anormal équivalent à la valeur locative du bien, pour la période durant laquelle les associés résidents belges se réservent l’usage du bien. L’objectif lucratif présent pour toute société est effectivement incompatible avec la mise à disposition gracieuse de ses actifs à ses associés.

Cet avantage anormal est un résultat incompressible pour la société, qui ne peut être compensé avec aucune charge déductible.

En pratique, cela signifie qu’en raison de l’occupation gracieuse de l’immeuble français, il existera un résultat imposable en Belgique, par application des règles belges, qui n’existera pas en France, avec pour conséquence que le test de 1 % d’impôt minimum payé sur les revenus français ne sera pas satisfait, puisque la Belgique considère un revenu fictif (l’avantage anormal) qui n’existe pas en France.

Par application de la convention de la double imposition belgo-française, la taxation par transparence du fondateur implique les revenus et gains immobiliers sont taxables en France, comme s’il les avait perçus directement. La Belgique peut toutefois appliquer la réserve de progressivité[3].

En résumé, l’associé résident belge d’une SCI qualifiée de construction juridique:

  • doit déclarer chaque année l’existence de la construction juridique et remplir une annexe à la déclaration IPP belge avec différentes informations, sous peine d’une amende annuelle de 6.250 € (par SCI et par année) ;
  • doit en principe déclarer un montant équivalant au RC belge de l’immeuble français[4], et préciser qu’il doit être exonéré sous réserve de progressivité ;
  • voit les délais d’imposition et de contrôle prolongés à 10 ans ;   
  • subira une exit tax de 30 %, en cas de déménagement du fondateur ou de la SCI à l’étranger notamment, sur les bénéfices non distribués.

L’on ne peut que recommander aux résidents belges, associés d’une SCI française, qui occupent le bien immobilier de la SCI tout ou partie de l’année, de vérifier les conséquences fiscales éventuelles en Belgique de cette occupation.


[1] La notion de fondateur a une large portée. Est visé celui qui :

  1. a constitué la construction juridique,
  2. a apporté des biens des droits, lorsque la construction juridique a été constituée par un tiers,
  3. a hérité du fondateur, à partir du décès, sauf si l’héritier démontre que, ni lui ni ses successibles, ne pourront bénéficier à aucun moment et d’une manière quelconque, d’un avantage octroyé par la construction juridique,
  4. détient directement ou indirectement, via une chaîne de constructions intermédiaires, les droits juridiques ou économiques sur les biens et capitaux détenus par la construction juridique,

Il y a une présomption réfragable que sont fondateurs, les personnes physiques reconnues dans un registre UBO comme bénéficiaire ultime d’une société, fiducie, trust, fondation, ASBL.

[2] Les 27 Etats membres de l’UE et la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.

[3] Les revenus sont exonérés en Belgique, mais la Belgique en tient compte pour déterminer le taux d’imposition sur les revenus taxables en Belgique.

[4] Depuis les revenus de 2021, le législateur fiscal belge a prévu l’attribution d’un revenu cadastral pour les immeubles situés à l’étranger, et donné en location à des particuliers qui ne l’affectent pas à l’exercice de leur profession.

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Nathalie Lannoy
n.lannoy@dlh-avocats.be

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